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06/06/2024

Quelle est la différence entre Wudang Tai Chi Chuan et Tai Chi de Style Wudang ?


1 - WUDANG TAI CHI (ou WUTAN TAI CHI selon la transcription phonétique et la région de Chine) 

Tout commence avec la forme de Tai Chi de style Wu ! Voici donc un peu d’histoire, avec quelques extraits du livre de Mantak Chia et Andrew Jan : Tai Chi Wu Style. Traduction de l’anglais (texte traduit : en italique) et rédaction : Bruno Degaille.


WU QUAN-YOU (1834–1902) et WU JIAN-QUAN (1870-1942)
Dans la famille WU, je voudrais le père et le fils 

Wu Chuan-Yu (Wu Quan-You en pinyin) était capitaine de la garde impériale de l'empereur Qing Guang Xu. À cette époque, leurs uniformes étaient lourds et recherchés - survivance de la forme et la fonction des temps anciens. Cette tenue a peut-être été à l’origine d'une impulsion qui a contribué à rompre avec le style Yang flamboyant ; les lourdes robes impériales descendent jusqu'aux genoux et par conséquent ont empêché des postures allongées avec les bras complètement étendus. Yang Lu-Chan a donc modifié le style Yang traditionnel pour enseigner à Wu Chuan-Yu le style Yang dit de petite corpulence (small frame). […] Nous savons que Wu Chuan-Yu a modifié la forme Yang pour créer la forme Wu. Certaines des innovations pour lesquelles il était connu comprennent l'utilisation de la douceur, apparaissant comme une faiblesse pour quelqu'un qui ne s’entraîne pas dans ce style, et l'accent mis sur la "neutralisation" de la force d'un adversaire. Wu Chuan-Yu a développé et enseigné son style - qui est désormais connu sous le nom d’école Wu du Nord (Pékin).  […]

Le fils de Wu Chuan-Yu, Wu Jian-Chuan (Wu Jian-Quan en pinyin) a déménagé vers le sud, à Shanghai, en 1928 et a créé l'école Wu du Sud. La réputation de Wu Jian-Quan s'est rapidement propagée, et il a été nommé au conseil d'administration de l'Association des arts martiaux de Shanghai. […] Étonnamment, la corpulence (frame) de Wu Jian-Quan est plus large que prévu. Cela suggère que les deux corpulences, la petite et la grande existaient à ce stade de l'évolution du style Wu. Ou bien, que la petite corpulence a pu être développée au cours des générations suivantes ; mais il est aussi possible que Wu Jian-Quan ait exagéré les postures pour les besoins des prises de vue  photographiques. […] 

Wu Jian-Quan a enseigné à beaucoup d'étudiants. Parmi les plus connus : Wu Gong-Yi (1900–1970), Zhu Min-Yi, Cheng Wing-Kwong, Ma Yueh-Liang, et la fille aînée de Wu Jian-Quan, Wu Ying-Hua (1907–1996).  […] On n’a pas écrit grand-chose sur Cheng Wing-Kwong, sauf qu'il faisait certainement partie du cercle intime des disciples de Wu Jian-Quan à Hong Kong. Il a amélioré son état de santé grâce à la pratique et finalement a acquis la réputation d'être le plus grand maître de Canton.


CHENG TIN HUNG (1930 - 2005)
Dans la famille Cheng, je voudrais l’oncle, le neveu, et le Joker...

Cheng Tin-Hung était un neveu de Cheng Wing-Kwong. Il est né dans la province de Guandong, mais a vécu la majeure partie de sa vie à Hong Kong, où il a acquis une réputation d’un combattant de full-contact et a gagné plusieurs compétitions dans la région du Sud-Est asiatique. 

Chen Tin-Hung a fait fusionner ses aptitudes en boxe avec les arts internes et a renommé son style « WUDANG" Tai Chi. Selon Rocky Kwong et d'autres sources, c’était pour honorer les arts qui proviennent des monts Wudang - berceau légendaire de l'immortel Zhang San- Feng (ndt : c’était aussi pour se distinguer des autres formes de Tai Chi enseignées et qui n’avaient rien de martial, et ainsi permettre de se constituer un nom à part dans le monde des arts martiaux).  Toutefois, il ne fait aucun doute que la forme longue de Tai Chi et la pratique de la poussée des mains de Cheng Tin-Hung appartiennent bien à la lignée des Wu du Sud. Son livre Wu Tan Tai Chi Chuan (qui comprend la boxe et les applications martiales) déclare ouvertement que "le livre actuel est basé sur le style Wu". Cependant, le système de boxe a très probablement été développé par Cheng Tin-Hung lui-même et n'a probablement pas été transmis par Wu Jian-Quan, ni Cheng Wing-Kwong. Cheng Tin-Hung a également introduit une forme longue et ronde. […] Cette combinaison de mouvements circulaires et continus (peut-être des vestiges du style Chen) avec une forme carrée classique donne à toute cette forme une dimension nouvelle. Comme beaucoup de vidéos de l'école du Sud, il montre un rythme rapide pour la forme longue. 

Les étudiants les plus connus de Cheng Tin-Hung à l'étranger sont Dan Docherty au Royaume-Uni et Rocky Kwong en Australie.

2 - TAI CHI CHUAN style WUDANG

Voilà donc l’origine du Wudang Tai Chi Chuan ! Mais quand est-il du Tai Chi de style Wudang ? Et bien, la réponse sera assez brève et simple : avec l’ouverture de la Chine à l'Occident, et la popularité croissante des arts martiaux, externes comme internes, il fallait bien un lieu de culte, une histoire, et une nativité. Shaolin était clairement populaire pour ce qui est des arts externes, appelés à tort « Kung Fu », et certainement a été popularisé par la série américaine éponyme. Il manquait donc une nativité aux arts internes. Les Monts Wudang sont historiquement réputés comme étant le berceau du légendaire Zhang San-Feng, quoi de plus naturel que d’instituer et institutionnaliser une histoire, une lignée et une forme. Dans les années 80, Dan Docherty et Cheng Tin-Hung ont voyagé dans les Monts Wudang. Pas de Tai Chi, pas d’école ni de lignée. J’ai été à Wudang dans les années 2000… le tourisme commençait à fleurir. Une gare de chemin de fer minable, vétuste, était l’arrêt final avant de se rendre aux pieds des Monts pour gravir vers le temple d’or, emblématique ensemble architectural à son sommet. 

Aujourd’hui, des écoles tout autour ont vu le jour, comme à Shaolin, où les instituts sont à perte de vue, mais aussi des maîtres, des lignées, et des formes les plus acrobatiques les unes des autres, sans oublier un folklore en lien avec le taoïsme en vogue. La gare  de chemin de fer a laissé place à un aéroport flambant neuf pour permettre aux nombreux touristes, et aux écoles d’arts martiaux de venir dépenser quelques milliers de dollars, ou d’euros, et autres devises, pour pratiquer en pyjama, parfois pour les plus chanceux avec des maîtres qui sont habillés - ou plutôt déguisés - en taoïste ! Même si les techniques et les approches sont indéniablement correctes, nous sommes passés d’un désert à une reconstitution du plus bel effet.


3 - CONCLUSION

Si Cheng Tin-Hung, en fin stratège, à la fois commercial et martial, a donné ce nom de WUDANG à son style de Tai Chi, provenant indéniablement de la lignée WU du Sud, c’est pour redonner des lettres de noblesse perdues avec la 2e guerre mondiale et l’arrivée des communistes en Chine. Hong Kong était une colonie britannique pour encore quelques décennies, et la diaspora chinoise ou les Hong-Kongais n’étaient pas dans la construction de cette Chine nouvelle.

Appeler son école du nom des Monts Wudang, qui ont leurs légendes, était à la fois osé et une preuve de ce que Cheng Tin-Hung représentait : un combattant hors pair qui utilisait les techniques propres au Tai Chi Chuan pour combattre, soit dans la rue, soit sur un ring. Ses nombreuses cicatrices en sont tout autant de témoignages.

D’un autre côté, la Chine nouvelle a besoin de se reposer sur des fondamentaux après la mort de Mao. Deng Xiaoping a dit au grand timonier qu’il pouvait tout se permettre pour sa révolution culturelle, mais de ne pas toucher au taoisme, l’âme chinoise ; ce qui lui a valu "juste" un exil dans les terres du Sichuan avant de devenir ce réformateur de la Chine qui entrera dans sa phase de modernité et d’ouverture au monde. 

Et dans un contexte où les valeurs sont à retrouver, les lieux de culte et culturels à reconstruire, les arts martiaux internes ont retrouvé une place à l’instar de la boxe des moins guerriers de Shaolin. Cinéma aidant, et société de divertissement explosant.

Le Tai Chi de Wudang voyait le jour, avec un mélange de styles, pour paraître plus authentique, mais surtout, porter l’habit ou la chasuble pour plus d’effets…

Depuis, la Chine popularise de plus en plus et revendique l’école de style Chen, « aux origines » du Tai Chi. Ce qui est en partie vrai, mais aussi clairement erroné si l’on ne regarde que par le gros bout de la lorgnette. Evitons donc de reproduire l’allégorie de la grenouille au fond du puits ! La vérité historique est beaucoup plus compliquée que cela. Mais ceci est un autre sujet. Auquel, je vous conseille de vous référer via l’ouvrage de Dan Docherty « Le Guide complet du Tai Chi, un manuel structuré pour un savoir-faire professionnel » où il évoque les origines connues, méconnues, et… inconnues du Tai Chi. 

A recommander également la lecture  sur son site internet où désormais les documents ont valeur d’archives Arrow Up Right From Square


4 - CONCLUSION BIS

J’enseigne le Tai Chi et les valeurs que Dan Docherty m’a transmis.

J’enseigne ce que Dan Docherty a appris et qu’il tient de son  maître, Cheng Tin-Hung (voir lien internet ci-dessus)

J’enseigne ce qu’il a aussi amélioré, notamment dans les applications des armes et qui en fait un style encore plus abouti : Practical Tai Chi Chuan

CHENG Tin-Hung (1930-2005)

Dan Docherty (à droite) avec Maître Cheng Tin-hung et Chow Tim-tong (à gauche) avec son trophée Merlion de la 2e place, catégorie poids lourds au 4e championnat chinois de contact complet d'Asie du Sud-Est à Singapour en 1976 

(photo extraite du livre Wild Colonial Boy « Tales of a Kung Fu cop » par Dan Docherty