苦 : MANGER AMER EST-IL UN « MAL » NÉCESSAIRE ?
D’un point de vue binaire, c’est-à-dire sécable, nous avons l’habitude d’opposer l’un à l’autre. Les ardents défenseurs du « il faut souffrir pour être beau/belle, endurant, persévérant, etc., sont mis en parallèle par les défenseurs du moindre effort pour un maximum d’efficacité. Si cet aphorisme prévalant la loi du moindre effort (no pain) pour un résultat optimal (much gain) se retrouve fondamentalement dans les arts martiaux japonais, tels que Aïkido pour ou le Jiu-Jitsu pour n’en citer que quelques-uns, ou chinois avec le Taiji Quan pour n’en citer qu’un, la nécessité de passer par la douleur du corps n'en reste pas moins nécessaire. D'autant que cette construction a posteriori ne reflète pas mieux l'objectif. Car il vaut mieux y donner une dimension juste telle que l'effort juste plutôt que de rester dans une négation ennuyante.
Et il serait injuste, voire du point de vue intellectuel, malhonnête, de discriminer l’un pour l’autre. En effet, la douleur est un élément indispensable pour que le système nerveux central opère afin que nous prenions conscience de ce qu’il se passe à un niveau plus interne et vital. Par exemple, un cours type de méthode Pilates doit à la fois viser l’un, mais aussi l’autre. Exerçant sur les couches musculaires profondes donc sur les muscles posturaux, par conséquent plus endurants et moins fatigables, la notion de douleur est différente que sur les muscles du mouvement et de la préhension. Cependant, l'entrainement, les cours, répétés régulièrement fera passer de l’un à l’autre, de la douleur à la réparation, du renforcement à l’entretien à plus long terme.
Ce nouvel aphorisme, comme pour s’affranchir de la douleur n'a pas lieu d'être. Il ne s'agit pas, sur une échelle de 1 à 10 d’évaluer une séance à 7-8, mais plutôt à 2-3. Échelle utilisée dans les centres antidouleur, son usage est pour que chacun puisse s’autoévaluer. Personne n’est sensible de la même manière à la même intensité. Aussi, nous devons prendre en considération ce paramètre, et en tant qu’enseignant instructeur, éducateur sportif, évaluer la charge de travail lors d’une séance, évaluer sa progression et respecter l’intégrité physique autant que psychique. Nonobstant l’aspect conatif essentiel pour mener un entrainement à long terme, il ne doit pas pour autant être le seul déterminant, puisqu’il faut prendre aussi en compte tous les paramètres : les éléments psychomoteurs, cognitifs, physiques et psycho-socio-affectifs.
Pour ce qui est des muscles fatigables, du mouvement et de la préhension, il est donc nécessaire d’en passer par la phase « No Pain No Gain ». Je ne vais pas développer ici ce qui doit être une évidence biomécanique, ni transcrire en français l’imagerie chinoise que nous prenons un peu trop au pied de la lettre et malheureusement pas assez au "pied" de l’idéogramme, souvent par manque de connaissances et autres lacunes. Cette attitude indolente qui confère à ramener vers l’ésotérisme ce qui doit être à vocation exotérique, mais sans pour autant maitriser l’une ou l’autre sémantique.
UN PEU DE CHINOIS
L’idéogramme qui vient à point pour ce sujet est bien entendu le mot 苦 kǔ qui signifie amer, saumâtre, mais aussi pénible, laborieux, dur, jusqu’à misères, souffrances, avec acharnement, etc. 吃苦 chī kǔ, c’est littéralement manger amer, dans le sens mener une vie dure. On dirait « en baver ».
Revenons à notre situation plus confortable et de savoir si manger amer, ou autrement dit "no pain no gain" serait de bon aloi. Il faudrait développer la relation avec la MTC, les relations des 5 potentiels agissants et la physiologie. Pour cela, mieux vaut laisser d’autres s’en charger pour les explications qui sont loin d’être simples. On retiendra qu’il faut soutenir le cœur en mangeant amer, et plus particulièrement en hiver. L’été, son action est aussi de soutenir le cœur, mais cette fois-ci pour éviter en quelque sorte la surchauffe. Dans notre alimentation, salades d’hiver et autres endives ont cette amertume. Sauf que nos industriels agroalimentaires ont décidé que manger amer, ça ne plait pas et cela ne fait pas bien vendre et qu’il faut modifier les endives pour les rendre plus douces. Quelle hérésie ! Mais je m’écarte… pas tant que ça au demeurant.
PAIN IS GAIN
Alors, oui, pour un entrainement sur le long terme, il faut manger amer, raisonnablement, tous les jours ; c’est physiologiquement indispensable pour rendre les muscles les plus fatigables plus endurants, et par cette action stimuler l’organe vital à ce bon fonctionnement, le muscle cardiaque. Manger amer plus ou moins selon la nature de l’entrainement et son objectif associé.
Cela est valable pour toutes les activités physiques, en premiers lieux les sports typiquement d’endurance bien évidemment, ainsi que les arts martiaux par ailleurs, nécessitant à la fois endurance cardio-vasculaire tout autant que forces pliométriques et préhensions.
Mais les endives ont perdu leur amertume, les arts martiaux trop souvent leur saveur, en mode Tofu Chuan. On ne peut qu’en être désolé, ou peiné, à défaut d’en pleurer !
(哭kū pleurer phonétiquement identique à amer 苦 kǔ, lui-même phonétiquement identique à 酷 kù qui prend parfois le sens de désolé et peiné)
© Bruno Degaille 2021
越苦越好
Plus c’est amer, mieux c’est (dicton chinois)