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"No Pain, No Gain" vs "No Pain, Much Gain"

18/02/2021

: MANGER AMER EST-IL UN « MAL » NÉCESSAIRE ?


D’un point de vue binaire, c’est-à-dire sécable, nous avons l’habitude d’opposer l’un à l’autre. Les ardents défenseurs du « il faut souffrir pour être beau/belle, endurant, persévérant, etc., sont mis en parallèle par les défenseurs du moindre effort pour un maximum d’efficacité. Si cet aphorisme prévalant la loi du moindre effort (no pain) pour un résultat optimal (much gain) se retrouve fondamentalement dans les arts martiaux japonais, tels que Aïkido pour ou le Jiu-Jitsu pour n’en citer que quelques-uns, ou chinois avec le Taiji Quan pour n’en citer qu’un, la nécessité de passer par la douleur du corps n'en reste pas moins nécessaire. D'autant que cette construction a posteriori ne reflète pas mieux l'objectif. Car il vaut mieux y donner une dimension juste telle que l'effort juste plutôt que de rester dans une négation ennuyante.

Et il serait injuste, voire du point de vue intellectuel, malhonnête, de discriminer l’un pour l’autre. En effet, la douleur est un élément indispensable pour que le système nerveux central opère afin que nous prenions conscience de ce qu’il se passe à un niveau plus interne et vital. Par exemple, un cours type de méthode Pilates doit à la fois viser l’un, mais aussi l’autre. Exerçant sur les couches musculaires profondes donc sur les muscles posturaux, par conséquent plus endurants et moins fatigables, la notion de douleur est différente que sur les muscles du mouvement et de la préhension. Cependant, l'entrainement, les cours, répétés régulièrement fera passer de l’un à l’autre, de la douleur à la réparation, du renforcement à l’entretien à plus long terme.

Ce nouvel aphorisme, comme pour s’affranchir de la douleur n'a pas lieu d'être. Il ne s'agit pas, sur une échelle de 1 à 10 d’évaluer une séance à 7-8, mais plutôt à 2-3. Échelle utilisée dans les centres antidouleur, son usage est pour que chacun puisse s’autoévaluer. Personne n’est sensible de la même manière à la même intensité. Aussi, nous devons prendre en considération ce paramètre, et en tant qu’enseignant instructeur, éducateur sportif, évaluer la charge de travail lors d’une séance, évaluer sa progression et respecter l’intégrité physique autant que psychique. Nonobstant l’aspect conatif essentiel pour mener un entrainement à long terme, il ne doit pas pour autant être le seul déterminant, puisqu’il faut prendre aussi en compte tous les paramètres : les éléments psychomoteurs, cognitifs, physiques et psycho-socio-affectifs.

Pour ce qui est des muscles fatigables, du mouvement et de la préhension, il est donc nécessaire d’en passer par la phase « No Pain No Gain ». Je ne vais pas développer ici ce qui doit être une évidence biomécanique, ni transcrire en français l’imagerie chinoise que nous prenons un peu trop au pied de la lettre et malheureusement pas assez au "pied" de l’idéogramme, souvent par manque de connaissances et autres lacunes. Cette attitude indolente qui confère à ramener vers l’ésotérisme ce qui doit être à vocation exotérique, mais sans pour autant maitriser l’une ou l’autre sémantique.


UN PEU DE CHINOIS 



L’idéogramme qui vient à point pour ce sujet est bien entendu le mot kǔ qui signifie amer, saumâtre, mais aussi pénible, laborieux, dur, jusqu’à misères, souffrances, avec acharnement, etc. 吃苦 chī kǔ, c’est littéralement manger amer, dans le sens mener une vie dure. On dirait « en baver ».

  • La locution 吃苦耐勞 chī kǔ nài láo est une double peine : la première au quotidien, « manger amer, mener une vie dure », la seconde, le résultat à long terme, celui de « supporter patiemment un travail pénible ». Ce même láo qui est utilisé pour former le binôme 勞宮 láo gōng, le 8e point du méridien du Maître du Cœur, correspond à l’élément feu. Bien qu’il y ait interaction et une corrélation, ce n’est pas le sujet à développer ici et maintenant, ce serait bien trop long. Remarquez juste la construction verticale du caractère láo:  : un feu ardent(double) au-dessus d’un toit sous lequel se trouve la force : 火火 + + .
  • Une autre expression, 吃苦精神 chī kǔ jīng shén (jīng shén étant un ensemble complexe et ardu à traduire, nous nous contenterons que de celui de vigueur / vitalité), se traduit par « Esprit d’Endurance ». cette traduction est lapidaire, le contexte bâclé. Pourtant, en développant, l'on ne peut qu'apprécier l’aspect positif contrairement à la version anglaise et son « NON ceci, alors NON cela ». Ici, c'est plutôt « Mangez amer et soyez endurants » qui est une invitation à accepter ce qui par essence est déplaisant.
  • Mais aussi, on retrouve l’expression en pharmacopée : 越苦越好 yuè kǔ yuè hǎo : « plus c’est amer, mieux c’est » pour affirmer l’efficacité d’un médicament ou une formule de plantes. Nous avons en alimentation par exemple le concombre amer 苦瓜 kǔ guā, et le thé amer 苦丁茶 kǔ dīng chá qui est en fait une matière médicale n'ayant rien à voir avec camélia sinensis.
  • Un terme emprunté à l’Hindi, anglicisé et sinisé : KULĪ qui a donné Coolie en anglais, désignant un porteur ou un travailleur en Extrême-Orient, qui phonétiquement en chinois est identique à 苦力 kǔ lì, littéralement la force amère. Tout le monde a en tête ces forçats, nus, tirant bateau pour remonter le fleuve. Sans compter, le réseau d’exportation mis en place mi XIXe vers l’Amérique, au Pérou où ces pauvres hères étaient envoyés dans les mines d’argent ou dans les plantations de canne à sucre de Cuba.

Revenons à notre situation plus confortable et de savoir si manger amer, ou autrement dit "no pain no gain" serait de bon aloi. Il faudrait développer la relation avec la MTC, les relations des 5 potentiels agissants et la physiologie. Pour cela, mieux vaut laisser d’autres s’en charger pour les explications qui sont loin d’être simples. On retiendra qu’il faut soutenir le cœur en mangeant amer, et plus particulièrement en hiver. L’été, son action est aussi de soutenir le cœur, mais cette fois-ci pour éviter en quelque sorte la surchauffe. Dans notre alimentation, salades d’hiver et autres endives ont cette amertume. Sauf que nos industriels agroalimentaires ont décidé que manger amer, ça ne plait pas et cela ne fait pas bien vendre et qu’il faut modifier les endives pour les rendre plus douces. Quelle hérésie ! Mais je m’écarte… pas tant que ça au demeurant.


PAIN IS GAIN


Alors, oui, pour un entrainement sur le long terme, il faut manger amer, raisonnablement, tous les jours ; c’est physiologiquement indispensable pour rendre les muscles les plus fatigables plus endurants, et par cette action stimuler l’organe vital à ce bon fonctionnement, le muscle cardiaque. Manger amer plus ou moins selon la nature de l’entrainement et son objectif associé.

Cela est valable pour toutes les activités physiques, en premiers lieux les sports typiquement d’endurance bien évidemment, ainsi que les arts martiaux par ailleurs, nécessitant à la fois endurance cardio-vasculaire tout autant que forces pliométriques et préhensions.

Mais les endives ont perdu leur amertume, les arts martiaux trop souvent leur saveur, en mode Tofu Chuan. On ne peut qu’en être désolé, ou peiné, à défaut d’en pleurer !

(kū pleurer phonétiquement identique à amer kǔ, lui-même phonétiquement identique à kù qui prend parfois le sens de désolé et peiné)


© Bruno Degaille 2021


越苦越好
Plus c’est amer, mieux c’est (dicton chinois)